Cour d’Assises des Basses-Pyrénées - 1895


Cour d’Assises des Basses-Pyrénées

Audience du 8 mai 1895


Président : M. CASSOU

Assesseurs : MM. LAPENNE et CHAUDREAU


Pierre Fortunat, né le 10 septembre 1865, à Lalongue, est accusé de vols qualifiés.


Dans la matinée du 19 novembre 1894, profitant de l’absence des mariés Labat, cultivateurs à Taron, un malfaiteur s’introduisit dans la maison à l’aide d’escalade après avoir fait sauter un crampon en fer qui retenait l’espagnolette d’une fenêtre du rez-de-chaussée et s’empara d’un billet de banque de 100 fr., renfermé dans un livret caché dans un lit, d’une montre en argent, d'un collier et d’un anneau en or, d’une cravate et d’un porte-monnaie contenant une somme de 5 fr.; ces derniers objets étaient placés dans une armoire qui n’était pas fermée à clef.


Dès que les mariés Labat constatèrent le vol dont ils venaient d’être victimes, leurs soupçons se portèrent sur Fortunat Pierre, connu dans la région pour ne vivre que du produit du vol, que l’on avait vu ce même jour, rôder près de la maison.


Les gendarmes de la brigade de Garlin se mirent aussitôt â sa recherche. Arrivés dans la commune de Ségos, vers une heure du matin, ils apprirent du sieur Despagnet, aubergiste, qu’un individu, ayant dit se nommer Meyer, mais répondant au signalement de Fortunat était entré chez lui dans la soirée, et était couché dans son établissement ils se firent conduire auprès de lui, le reconnurent pour être Pierre Fortunat, qui fut immédiatement arrêté malgré ses protestations énergiques et sa persitance à soutenir qu’il se nommait Meyer et représentait une maison de machines à coudre de Bordeaux. Le lendemain, pendant qu’on le conduisait de Garlin à Pau, il reconnut enfin qu’il était bien Pierre Fortunat, il ajouta cyniquement qu’il n’avait d’autre profession que celle de voleur, et dit aux gendarmes de l’escorte, qu’ils avaient eu de la chance de le surprendre, que s’il avait eu une arme à sa disposition, il n’aurait pas hésité à en faire usage contre eux.


Interrogé sur le vol commis à Taron, le 19 novembre précédent, il prétendit d’abord n’être pas

allé, ce jour-là, dans cette commune ; voyant ensuite que son allégation était démentie par de nombreux témoignages, il fut moins affirmatif.


L’instruction est parvenue à établir qu’il avait eu en sa possession, l’anneau en or, volé dans la maison Labat, et qu’il en avait, quelques jours après le vol, fait le cadeau à une fille soumise de Pau.


Au moment de son arrestation dans l’auberge de Ségos, le 19 janvier dernier, Fortunat avait en sa possession deux billets de banque de 50 fr. dont il ne pût expliquer la provenance. Or, la veille, de 2 à 3 heures de l’après-midi, un vol qualifié d’une somme de 200 fr. 50,composé de 4 billets de banque de 50 fr. d’une pièce de 1 fr. et 0 fr. 50 en monnaie de billon, avait été commis dans la commune de Poursingue, situé à 16 kilomètres de Ségos, au préjudice du sieur Ducouairet.


Profitant de l’absence des habitants de la maison Ducouairet, le voleur y avait pénétré, entre 2 et 3 heures, à l’aide d’escalade, après avoir brisé un carreau de vitre et, par l’ouverture ainsi pratiquée fait jouer l’espagnolette d’une fenêtre située à 1 m. 50 du sol ; il avait ensuite fait sauter la serrure d’une armoire et s’était emparé de 4 billets de banque de 50 fr et d’un porte-monnaie contenant 1 fr. 50, le tout placé sur une étagère de cette armoire.


L’instruction a établi que ce vol, comme celui de Taron, avait été commis par Fortunat.


L’information a relevé un 3e vol qualifié commis par Fortunat à Boumourt, le 13 août 1894, de 7 à 9 heures du matin, au préjudice du sieur Touya Firmin Là, encore, profiitant de l’absence de Touya et de sa femme, Fortunat pénétra dans leur maison après avoir, à l’aide d’un pieu, fait sauter sur une étendue de 8 centimètres carrés l’extrémité inférieure d’une porte donnant sur le jardin, ce qui lui permit d’introduire ce pieux, dans la chambre et de faire tomber une barre en bois, qui maintenait la porte fermée. L’accusé s’empara dans une armoire de deux porte-monnaie contenant deux pièces de 20 fr., une pièce de 1 fr., et quelques sous.


11 est encore établi que Fortunat est l’auteur d’un vol qualifié commis à Simacourbe dans la nuit du 22 au 23 mars 1894, au préjudice du sieur Pouchan, aubergiste dans cette commune.


Il s’était présenté à l’auberge le 22 mars, vers midi, se disant originaire de Larreule et cordonnier Maubourguet, et s’était fait servir à déjeûner ; il était encore à table lorsque survint le facteur des postes qui remit en sa présence, une somme de 2.000 fr. à la femme de l’aubergiste, celle ci compta aussitôt cette somme et la plaça dans le tiroir du buffet de la cuisine qu’elle referma à clef.


Le soir venu, Fortunat demanda si on ne pourrait pas lui donner un lit pour la nuit, l’aubergiste

y consentit et le fit coucher dans une chambre, à côté de la cuisine, contenant deux lits, dont le second devait servir au sieur Trépeu, roulier à Soumoulou, qui se coucha vers 10 heures.


Durant le sommeil de Trépeu et des aubergistes, Fortunat se leva pendant la nuit, pénétra dans la cuisine, ouvrit les deux portes du buffet placées au-dessous du tiroir où il avait vu mettre la somme de 2.000 fr., mais soit qu’il eût constaté en agitant le tiroir que les 2.000 fr. n’y étaient plus, soit qu’il n’eût pu l’ouvrir, il dut renoncer au projet de s’emparer de cette somme, et disparut par la fenêtre de la chambre à coucher, en emportant un pantalon de l’aubergiste et le porte-monnaie du roulier, contenant la somme de 24 fr.


A l’audience, l’accusé qui nie la plupart des faits qui lui sont reprochés reconnait être l’auteur de ce dernier vol, prétendant seulement qu’il n’a nullement essayé de s’emparer des 2000 fr.


L’information a porté sur un grand nombre d’autres vols qualifiés commis depuis un an dans la même région et dont Fortunat est soupçonné d’être l’auteur, il a été établi que l’accusé avait été vu, le jour même du vol dans la commune où ces vols étaient perpétrés, mais les charges n’ont pas paru suffisantes pour qu’elles fussent retenues contre lui.


Fortunat est un malfaiteur des plus dangereux.

Quoique à peine âgé de 29 ans, il a déjà subi cinq condamnations pour vol. Sorti le 1er février 1894 de la maison centrale d’Eysses, à l’expiration d’une peine de deux années de prison, il a mené depuis lors une existence nomade, n’exerçant comme il l’a dit aux gendarmes qui l’avaient arrêté, d’autres profession que celle de voleur.


Dans son interrogatoire, qui dure plus d’une heure et demi, Fortunat se défend avec énergie et même avec une certaine arrogance. Aucune question ne l’embarrasse ; il a réponse à tout. Son attitude est absolument cynique et peu faite pour lui attirer l’indulgence du Jury.


Les témoins sont au nombre d’une trentaine.


Les débats se poursuivent avec une lenteur désespérante. La plupart des dépositions sont sans intérêt et ne font que confirmer les faits exposés dans l’acte d’accusation.


M résulte de ces dépositions et de l’interrogatoire que Fortunat se présentait çà-et-là comme exerçant divers métiers.


Il se disait, selon les cas, chiffonnier,contrebandier, voyageur de commerce, marchand de machines à coudre, changeur de monnaie espagnole, accordeur de pianos, négociant en soieries, etc.


Tandis qu’un des témoins croit reconnaître une bague, qui lui a été volée, l’accusé s’écrie d’une voix forte en étendant le bras et en montrant le Christ :


— « Si celui-là pouvait parler, il dirait que cette bague n’a pas été volée. Je l’ai achetée en Espagne au Mont-de-Piété ».


C’est à une fille soumise pensionnaire d’une maison de tolérance de la rue Quérillac que l’accusé a donné la bague. Cette fille dit que Fortunat venait souvent dans la maison et qu’il se montrait fort généreux. Il dépensait sans compter, offrait à tout le personnel des consommations, du champagne le plus souvent et avait généralement son porte-feuille bourré de billets de banque.


L’un des témoins étant manchot, le sieur Cazenave, ne peut lever le bras droit qui lui manque

pour prêter serment. Il jure alors de la main gauche.


M. Biseuil occupe le siège du ministère public.

Me d’Etchepare présente la défense de l’accusé.

A l’heure où nous mettons sous presse le verdict n’est pas encore rendu. 


(Source: L’Impartial des Pyrénées - 9 mai 1895)

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